La Turquie n’est pas européenne


Après avoir donné à la Turquie – en décembre 1999 au sommet d’Helsinki – le statut de candidate à l’adhésion à l’Union européenne, les dirigeants européens ont décidé le 3 octobre 2005 d’entamer les négociations en vue de son adhésion. Cette décision extravagante, prise en dépit de l’opposition de la majorité des Européens, met en péril la construction européenne. Rien n’est encore joué, mais aujourd’hui plus que jamais, les peuples européens doivent rester vigilants.

Les citoyens européens doivent continuer à s’opposer à ce projet d’adhésion, car la Turquie n’est pas européenne. Ce texte analyse les raisons pour lesquelles il faut s’opposer à l’admission de la Turquie et démonte les mauvais arguments des partisans de l’adhésion.

En effet, la Turquie n’est européenne ni par sa géographie, ni par son histoire, ni par sa culture, ni par sa population. Rappelons ici quelques vérités.

Ouvrez n’importe quel Atlas, vous y lirez que ce pays est en Asie Mineure. Parce qu’un tout petit morceau du territoire turc – 4 % – se trouve à l’ouest du Bosphore, les partisans de l’adhésion voudraient donc repousser les frontières de l’Europe plus à l’Est. Les nouvelles limites de l’Europe seraient alors les frontières avec l’Iran, l’Irak et la Syrie ! L’Europe serait limitrophe des plus dangereuses poudrières du globe, et l’insoluble problème kurde deviendrait son problème. Quelle absurdité !
Tous les empires qui ont négligé la géographie en sont morts. C’est la géographie qui organise le monde, dicte les frontières et définit les États. L’ignorer serait fatal à l’Europe.

La civilisation ottomane n’a rien de commun avec la civilisation européenne

 

Tout le passé de la Turquie démontre qu’elle n’est pas européenne. Le monde turc est étranger à toutes les grandes expériences qui ont fondé l’Europe en tant que civilisation : l’héritage de l’empire romain, la conversion au christianisme latin, les innovations du moyen âge, la Renaissance, la Réforme, la Contre-réforme, les Lumières, le romantisme. Notre patrimoine, c’est Charlemagne, et non Soliman le Magnifique. Ce n’est pas faire offense à la Turquie que de rappeler que si la civilisation ottomane a été brillante, elle n’en est pas moins différente. Quiconque a vécu a Erzurum, à Ankara ou à Istanbul n’a jamais eu l’impression de vivre dans une ville européenne.

Culturellement, le fossé est grand qui sépare l’Europe de la Turquie. Malgré la laïcisation forcée opérée par Mustapha Kemal au début du siècle dernier, la société turque est toute imprégnée d’islam. La prise du pouvoir par les islamistes en 2002 n’en est pas la cause mais l’aboutissement ; c’est l’expression la plus achevée du rôle de l’islam dans le fonctionnement de la société turque. Aujourd’hui, l’armée turque reste le seul et dernier rempart contre l’islamisation du pays. Et paradoxalement, c’est l’Union européenne qui fait pression sur Ankara pour qu’elle réforme ses institutions et se débarrasse de la tutelle des militaires et du kemalisme. Autrement dit, c’est l’Europe qui pose comme condition à l’adhésion que la Turquie fasse tomber le dernier obstacle qui se dresse encore devant l’islamisme et l’AKP, le parti islamiste de Tayyip Erdogan, et cela au nom de la démocratie et des droits de l’homme !

75 millions de musulmans de plus en Europe ?

 

Et la démographie ? Elle serait un grand facteur de déséquilibre en cas d’adhésion. L’entrée de la Turquie signifierait l’arrivée de 75 millions de musulmans dans un ensemble européen de 400 millions d’habitants. La population de Turquie est jeune, son taux de natalité très élevé. Le revenu par habitant y est trois fois plus bas que la moyenne européenne, l’économie y est instable en dépit d’un taux de croissance plus élevé que la moyenne européenne. Pour longtemps encore, la Turquie a vocation à l’émigration. N’oublions jamais que le premier principe des Traités Européens est la libre circulation des personnes. Mais ce n’est pas tout ! Au nom d’une idéologie pantouranienne (union de tous les peuples turcs), la Turquie accorde la nationalité turque à tous les ressortissants des pays turcophones de l’ex-URSS qui la demandent. Ce sont donc 100 autres millions de turcophones qui jetteraient leur regard sur l’Europe.

L’Union européenne ou l’Organisation de la Conférence Islamique ?

 

La presse rappelle rarement que la Turquie est membre de l’Organisation de la Conférence Islamique. L’OCI, crée en mai 1971 à l’initiative de l’Arabie Saoudite, regroupe 45 États appartenant tous au monde musulman. Édifiante est la lecture de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en islam adoptée par l’OCI en 1990. Cette déclaration n’est pas compatible avec la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Mais quelle idée se font de l’Europe ces dirigeants occidentaux qui trouvent normal que l’on puisse appartenir en même temps à l’Union européenne et à l’OCI ?

Le piège des critères de Copenhague et des conditions d’admission

 

La Turquie déploie de grands efforts en vue de satisfaire aux critères dits « de Copenhague » relatifs aux institutions démocratiques et à l’économie de marché. Certains responsables européens, se croyant habiles, commettent l’erreur de dire aux dirigeants turcs : « Vous pourrez adhérer lorsque vous aurez, en plus, rempli trois conditions préalables : reconnaissance de Chypre, reconnaissance du génocide arménien et respect des droits de la minorité kurde. » Ce discours est un piège. Car qui peut affirmer que dans vingt ou trente ans, les Turcs ne finiront pas par reconnaître la République de Chypre et leur responsabilité vis-à-vis des Arméniens, si c’est le prix à payer pour adhérer à l’Union. Quand bien même la Turquie serait demain une démocratie modèle et aurait reconnu Chypre et le génocide arménien, cela n’en ferait pas pour autant un pays européen. Les hommes politique européens qui tiennent ce discours des conditions préalables continuent leur irresponsable fuite en avant. Comment réagiront les Turcs lorsque dans trente ans ils viendront nous dire : « Voilà, nous avons satisfait à toutes nos obligations, nous sommes prêts » et que nos enfants leur refuseront l’adhésion ?

Pas d’arguments en faveur de l’admission

 

Recep Erdogan et Georges W. Bush

Voyons maintenant les arguments déployés par les partisans de l’adhésion de la Turquie, et l’on verra combien ces arguments sonnent creux et faux.

Le premier argument, c’est que la promesse d’accueillir la Turquie lui aurait été faite et répétée depuis plusieurs décennies. Mais qui a fait cette promesse ? Assurément pas les peuples. Tous les sondages réalisés ces dernières années dans tous les pays de l’Union le prouvent : les peuples sont hostiles à l’entrée de la Turquie dans l’Union. Et cependant, depuis 50 ans, de nombreux dirigeants politiques européens, se conformant aux voeux des États-Unis, se livrent à une fuite en avant avec Ankara.

Il est important de rappeler que dans les années 60, l’adhésion dont on parlait à la Turquie était l’adhésion au Marché commun. Cela a été réalisé il y a dix ans par le traité d’Union douanière avec la Turquie. Ce qu’il faut proposer à la Turquie aujourd’hui, c’est le renforcement des liens existants dans le cadre d’un partenariat privilégié, mais en aucun cas l’adhésion à l’Union. Et il faut le lui dire vite. Prolonger la fuite en avant ne ferait qu’aggraver les frustrations chez les Turcs et risquerait de provoquer une crise diplomatique sérieuse.

Deuxième argument que l’on entend souvent dans la bouche des partisans de l’adhésion : la Turquie a vocation à intégrer l’Union Européenne car elle est déjà membre du Conseil de l’Europe, de l’OSCE, de l’OTAN et membre associé de l’UEO. Et alors ? Ces organismes ont leurs propres finalités et leur propre utilité. Il n’a jamais été inscrit dans leurs statuts qu’ils devaient uniquement servir d’antichambre aux candidats à l’entrée dans l’Union Européenne. À ce compte-là, on pourrait aussi faire adhérer l’Azerbaïdjan ou le Kazakhstan ! La participation de la Turquie à ces différents organismes montre justement que l’on peut efficacement coopérer avec elle et contribuer à son développement sans pour autant en faire un membre de l’Union Européenne.

« Club chrétien, club musulman » ?

 

Erdogan, Barroso et Gordon Brown, ex-premier ministre du Royaume-Uni

Argument numéro trois : de nombreux responsables européens affirment que l’Union européenne ne doit pas être un « club chrétien », reprenant à leur compte la phraséologie des Turcs eux-mêmes. Mais il y a bien longtemps que l’Europe n’est plus un club chrétien ! En revanche, la Turquie est, elle, devenue un « club musulman » où ne subsiste qu’une infime minorité d’Arméniens et de Grecs. Il ne faudrait pas inverser les rôles.

Une quatrième raison d’accueillir la Turquie en Europe serait que l’adhésion permettrait de faire progresser la démocratie sur les rives du Bosphore. Mais quoi ! L’Europe ne se définit pas comme un cercle de démocraties méritantes. La démocratie, c’est avant tout l’affaire des Turcs eux-mêmes ! Taiwan, le Japon ou le Chili n’ont pas eu besoin de l’Europe pour se démocratiser.

Le chantage à l’intégrisme

 

M. et Mme Erdogan

Le cinquième argument des partisans de la Turquie européenne relève carrément du chantage : si nous n’intégrons pas la Turquie, alors celle-ci se détournera de l’Ouest et se repliera sur un islamisme intégriste et violent et pourrait même devenir un adversaire de l’Europe. À entendre le clan des résignés, accueillir la Turquie « serait une assurance-vie pour l’Europe ».

La Turquie proclame aujourd’hui son ambition de concilier islam et modernité. Soit. Mais il n’appartient pas à l’Europe de réformer le monde musulman. Si la civilisation islamique doit se réformer un jour, ce devra être l’œuvre des musulmans eux-mêmes, pas la nôtre. Croire que l’Europe peut aider à réformer l’islam témoigne d’une incroyable naïveté.

Europe zone de libre-échange ou Europe souveraine ?

En réalité, voici la vraie question : Quelle Europe voulons-nous ? Une simple zone de libre-échange vassale des États-Unis, ou une Europe souveraine et indépendante, capable de jouer son propre rôle sur la scène internationale ? La réponse à cette question est décisive. Car nous sommes encore à l’heure zéro de l’Europe politique, celle où tous les choix sont possibles. Entre l’adhésion et rien, il y a la place pour tout : il faut développer les accords de coopération avec la Turquie, l’aider dans son développement économique, l’accompagner dans sa marche vers la démocratie. Mais il ne faut pas l’intégrer à l’Union européenne.

Jacques Cordonnier
Président du mouvement régionaliste Alsace d’Abord
24 mars 2006