Langues régionales : un projet de loi pour faire illusion


Le 7 mai, à l’initiative notamment du député UMP breton Marc Le Fur et de quelques députés alsaciens toujours bien timides, les langues régionales étaient en discussion à l’Assemblée.

Un événement en soi

Étant donné l’hostilité de la République pour les langues régionales, ce débat était en soi un événement. Les langues régionales rappellent à la République qu’au-delà de la France « Une et Indivisible », rêvée à Paris, il y a des patries charnelles. Elles sont bien réelles même si les Constitutions françaises successives en ont décidé autrement, en établissant notamment que « la langue de la République est le français », prétexte à la condamnation à mort des langues régionales.

Marc Le Fur, député des Côtes d'Armor

Il faut bien comprendre que la France est un cas unique en Europe occidentale, qu’elle est régulièrement rappelée à l’ordre par diverses institutions internationales à propos de son jacobinisme exacerbé qui, sous prétexte d’égalité, a relégué l’enseignement des langues régionales à la sphère privée. Il est amusant que la donneuse de leçons qu’est la République française soit sans cesse attaquée à propos de son non respect des principes des Droits de l’Homme en la matière. Savez-vous que les Alsaciens, les Bretons, les Flamands, les Occitans, les Basques, les Corses, sont définis comme « minorités ethniques » dans les autres pays ? Des minorités ethniques menacées dans leur existence. Or, en droit français, un Alsacien, ça n’existe tout simplement pas.

De vains espoirs : pas de modification de la Constitution

Lors du débat inédit du 7 mai, des députés ont osé exprimer avec passion ce qu’ils avaient sur le cœur. Un député catalan a même osé s’adresser à l’auditoire dans sa langue, il fut vite réprimandé par le Vice-Président de l’assemblée, venu rappeler qu’il est « interdit de s’exprimer autrement qu’en français dans l’hémicycle ». Le Breton Marc le Fur a quant à lui demandé une loi ayant des conséquences concrètes en matière d’éducation, de médias, d’Internet et de signalétique.

Tous nourrissaient l’espoir bien vain que la Constitution française soit modifiée, afin de pouvoir mettre en application la Charte européennes des langues régionales et minoritaires, qui s’applique seulement à des langues traditionnellement employées par les ressortissants d’une partie d’un État européen (ainsi, les langues employées par les récents immigrants originaires d’États non-européens sont exclues). La charte propose un grand nombre d’actions différentes que les États signataires peuvent entreprendre pour protéger et pour favoriser les langues historiques régionales et de minorités. Que nenni ! Point de modification de la Constitution, comme on pouvait s’y attendre. La ministre de la culture, Christine Albanel, a affirmé que « ratifier la Charte est contraire à nos principes ; l’appliquer serait difficile, coûteux et d’une portée pratique pour le moins discutable ». Le droit à la différence n’est donc pas un principe républicain ? Quand il s’agit de défendre les minorités visibles ou sexuelles, la France est pourtant la première à parler de notre si belle République riche de ses différences ! Par rapport au coût, nous avons des tas de solutions à proposer pour faire des économies : on pourrait arrêter d’entretenir les vagues d’allogènes accueillies en France, mais on pourrait aussi transférer de réels pouvoirs et des ressources propres aux régions. Il faudrait que les impôts des Alsaciens restent davantage en Alsace ; ainsi, l’État n’aurait pas à se soucier du coût « incommensurable » de l’application de la Charte. La ministre de la culture a ajouté que la ratification de cette charte « implique la reconnaissance d’un droit imprescriptible de parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique ». Et cela, est-ce si grave Madame la ministre ?

Christine Albanel, ministre de la Culture

Un projet de loi histoire de faire illusion

Mais, tout de même, pour faire illusion, et pour que nos députés puissent rentrer chez eux en faisant croire qu’ils ont obtenu quelque chose, on nous promet une loi qui servira de « cadre de référence » aux langues régionales. Chic alors, on va avoir un cadre de référence !

La plupart de nos députés UMP alsaciens, fidèles à leur frilosité, feignent de se réjouir d’une grande avancée. C’est « un pas en avant » pour Jean-Philippe Maurer. Mais cher Jean-Philippe, ça fait 60 ans que l’on fait des petits pas en avant, que l’on gagne par exemple une heure d’enseignement par-ci par là, pour en arriver à quel constat ? Combien de jeunes pourraient rédiger le présent article en allemand ou en alsacien, combien le comprendraient ? Et qu’on incrimine pas les familles alsaciennes qui n’auraient pas rempli leur rôle dans la transmission du dialecte ; car on leur a dit qu’il était « chic de parler français » et on a supprimé notre Muttersprache de l’enseignement. Pendant ces décennies où nos politiciens se sont réjouis de petits pas, nos identités ont avancé à grands pas vers la mort souhaitée par la République. Ce sont des grands sauts qu’il nous faut, et pour cela il faut oser tenir tête à l’État et pas se réjouir lorsque celui-ci, une fois de plus, nous humilie !

Lors de la campagne présidentielle, le candidat Sarkozy avait exprimé sa volonté « de réfléchir ensemble aux propositions très concrètes que l’on pourrait retenir pour sécuriser une fois pour toute la situation des langues régionales de France ». Cette loi n’est même pas encore votée mais nous savons que ce sera un mensonge de plus. Même le député socialiste alsacien Armand Jung ne s’y trompe pas (et c’est dire…), il affirme que cette loi fait « miroiter de faux espoirs ».

Maintenir notre culture vivante, ça se passera ici, pas à Paris

Pour obtenir quelque chose de la France il faudra tenir une ligne cohérente, ambitieuse, et ferme. Mais l’on ne doit pas se contenter de la vaine attente d’une loi miraculeuse venant de la République. Il faut provoquer les choses, mais il faut surtout les vivre. Puisque nous ne pouvons pas aujourd’hui espérer pour nos enfants une éducation dans la langue qui devrait être la leur, c’est à nous d’utiliser les réseaux culturels existant, d’initiative généralement privée, pour que nos enfants et nous-mêmes puissions vivre notre culture comme il se doit. C’est à nous aussi d’innover. Nous devons développer l’esprit communautaire, et c’est un véritable devoir de faire l’effort d’apprendre l’alsacien, de le partager, de le parler, même s’il est imparfait. La torche qui maintiendra la flamme de notre culture bien vivante, elle est ici, pas à Paris.

Et quand certains pessimistes penseraient que le déclin de la langue est inéluctable, sachez que l’impulsion politique a pu faire revivre des langues qui n’étaient plus parlées, comme le gaélique en Irlande ou…l’hébreu en Israël ! C’est de ce pouvoir politique dont les autres régions d’Europe bénéficient, maîtresses de leur politique d’éducation, que le salut viendra.