Conseil du culte musulman : à Paris, en Alsace
Nicolas Sarkozy a commis une faute grave en créant le Conseil français du culte musulman. Les musulmans vivant en France sont devenus revendicatifs, car le gouvernement Raffarin leur a donné ce qui leur manquait jusqu’à aujourd’hui : légitimité, crédibilité et unité. À cela il faut ajouter les moyens financiers que la République, généreuse, accorde à cet organe dit représentatif, et qui dans les faits, ne l’est pas du tout.
Au nom de quel principe républicain Nicolas Sarkozy s’est-il mêlé de l’organisation du culte musulman en France ? Pour l’UMP, l’islam serait-il devenu religion d’État ? Rien dans la législation, dans la tradition ou les usages français ne justifie que l’État français s’implique dans l’organisation du culte musulman. Cela n’a été le cas pour aucune autre religion, alors pourquoi le faire pour l’islam ? Les conséquences néfastes de la politique du ministre de l’intérieur et des cultes ne se sont pas fait attendre.
Aviez-vous remarqué combien la question du foulard islamique s’était enflée depuis que Nicolas Sarkozy avait lancé son projet de Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) ? Ce n’était pas une coïncidence. En prétendant donner aux musulmans en France un organe représentatif, Sarkozy a surtout réussi à donner aux fondamentalistes de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) ce qui leur manquait le plus pour s’imposer face aux organisations dites modérées : légitimité, crédibilité, notabilité et notoriété. Sarkozy croyait coïncer l’UOIF au sein du CFCM, et c’est l’inverse qui s’est produit : l’UOIF a étouffé ses concurrents en remportant les élections dans presque toutes les régions de France. Il est naturel dès lors que l’organisation derrière laquelle se cachent les Frères Musulmans devienne de plus en plus exigeante.
Le CFCM, une organisation très peu démocratique
Sarkozy a joué avec le feu en montant son usine à gaz. Dès sa naissance, le Conseil Français du Culte Musulman a raté sa légitimité démocratique : voilà un organe dont les membres ont été élus sur du sable ; les candidats ont été désignés en fonction …du nombre de mètres carrés des mosquées et autres lieux de culte. Ahurissant ! Mais comment faire autrement, puisque depuis plusieurs années il est interdit en France de mentionner l’appartenance religieuse des citoyens dans les documents et fichiers administratifs et même dans tout fichier quel qu’il soit. La CNIL, Commission Nationale Informatique et Libertés, et les tribunaux veillent au grain. Les 6 et 13 avril 2003 ont donc eu lieu ces « élections » qui ont vu la défaite quasi générale des candidats de la coalition menée par Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris et chouchou de Nicolas Sarkozy. Ces derniers n’ont réussi qu’à sauver les apparences. En effet, par le jeu d’un montage typiquement dans le style UMP, c’est bien Dalil Boubakeur qui, malgré son revers électoral, sera président du CFCM pendant deux ans. Nous parions qu’il deviendra très vite un otage entre les mains d’éléments plus radicaux.
En Alsace comme à Paris, succès des fondamentalistes
Et en Alsace, que s’est-il passé ? La situation est paradoxale, mais pleine d’enseignements. Le 6 avril dernier 2003, 189 « grands électeurs » désignés par les 48 lieux de culte retenus (par qui ?) dans la région ont élu les 21 membres du Conseil régional du culte musulman (CRCM). Trois listes étaient en présence. Celle menée par Abdellah Boussouf, d’origine marocaine, président de la Coordination des associations musulmanes de Strasbourg (CAMS), alliée à l’union turco-islamique des affaires religieuses Ditib) obtient 10 sièges. La liste dirigée par Thomas Milcent comprenait des membres de l’UOIF, mais aussi des membres de l’institution turque Milli Görüs. Cette liste obtient 9 sièges. Thomas Milcent est un candidat atypique. Normand d’origine, médecin généraliste à Schiltigheim, il s’est converti à l’islam en 1980. Très actif et efficace, il a créé la surprise de certains en obtenant ce score. La troisième liste menée par Djenab Benaïssa est l’émanation du Centre culturel islamique des Algériens, de la mosquée Ennsar de Mulhouse. Elle était soutenue par Boubakeur et la grande mosquée de Paris et obtient deux sièges. À la surprise des observateurs non avertis, le président élu du nouveau conseil régional du culte musulman est Abdelhaq Nabaoui, de nationalité marocaine, professeur au lycée Henri-Meck à Molsheim, adhérent de l’UOIF. Il était deuxième derrière Thomas Milcent, sur la liste arrivée en seconde position aux élections. Comment Abdellah Boussouf, dont la liste est arrivée en tête, a-t-il pu se faire battre ?
L’importance du rôle des Turcs en Alsace
Il y a deux explications : d’abord, il faut savoir qu’un accord est intervenu entre l’UOIF et la mosquée mulhousienne Ennsar, elle-même proche de la mosquée de Paris, détruisant ainsi les espoirs d’Abdellah Boussouf. Il est très instructif de constater qu’à Paris, Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, met en garde le gouvernement contre le danger que représentent les intégristes de l’UOIF ; mais qu’en Alsace, le candidat proche de la mosquée de Paris préfère encore l’UOIF …à Abdellah Boussouf ! C’est dire ! La deuxième cause de la défaite de M.Boussouf, c’est la composante turque. Les Turcs sont nombreux en Alsace ; ce sont des musulmans agissants et influents. Ils étaient présents sur les deux listes arrivées en tête le soir du 6 avril, mais en réalité, plusieurs d’entre eux avaient déjà fait le choix de soutenir le candidat de l’UOIF.
Les responsables UMP et PS ont raté leur coup !
Rappelons ici ce que disait Ali Bouamama, enseignant à l’université Marc-Bloch de Strasbourg, tenant d’un islam « laïc » et rival malheureux du même Abdellah Boussouf pour le projet de la future grande mosquée de Strasbourg. M. Bouamama a toujours affirmé que la prétendue représentativité de M. Boussouf était artificielle et exagérément prise en considération par Catherine Trautmann puis par Fabienne Keller, qui avaient fait de celui-ci l’interlocuteur unique des musulmans de Strasbourg et qui ont choisi son projet de grande mosquée et accepté de la subventionner, malgré l’hostilité de la majorité des Strasbourgeois.
Quelles leçons peut-on tirer de tout cela aujourd’hui ?
Premièrement, quand les responsables politiques UMP et PS se mêlent des affaires de l’islam dont ils ne connaissent que ce qu’ils ont appris à l’ENA, c’est-à-dire pas grand chose, les événements ne se passent jamais comme ils l’avaient prévu. Deuxièmement, la gauche et l’UMP ont toujours mené une politique identique sur la question de l’islam. C’est vrai à Paris, c’est encore plus vrai en Alsace. Troisièmement, à force de jouer avec le feu, il y a maintenant à la tête du conseil régional du culte musulman en Alsace un représentant des musulmans fondamentalistes.
La Turquie n’a rien à faire dans l’Union Européenne
Quatrièmement, on mesure encore mieux depuis le 6 avril 2003 le danger que représente l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Aujourd’hui déjà, les Turcs sont très nombreux et influents en Alsace. Que se passerait-il demain, si 68 millions de musulmans turcs devenaient citoyens européens ? Nul ne pourrait les empêcher de choisir de s’installer chez nous, là où les accueilleraient tant de leurs coreligionnaires. On se demande vraiment ce qui se passe dans la tête des responsables UMP alsaciens qui sont tous favorables à l’intégration de la Turquie. Cinquièmement, on constate en voyant le cursus des élus du CRCM que les intégristes et les fondamentalistes ne sont pas là où M. Sarkozy le croit. Nous pensons que les rappeurs de banlieue ont sur le tissu social français, une influence moindre que les intellectuels musulmans actifs et apparemment bien intégrés, qu’ils soient universitaires, chercheurs, médecins, avocats, etc… Retenons bien ceci : intégré et intégriste, ce n’est pas incompatible.
Il faut refuser l’élargissement du statut concordataire à l’islam
Enfin, il faut se rappeler que Catherine Trautmann, ancien maire de Strasbourg, avait proposé qu’on élargisse à l’islam le statut concordataire des religions reconnues en vigueur en Alsace-Lorraine. Ainsi les imams en Alsace seraient rémunérés par l’État, et l’enseignement de la religion musulmane serait organisé dans les écoles publiques. Cette idée de gauche est maintenant reprise par des élus alsaciens de l’UMP ! En outre, le projet de créer une chaire de théologie musulmane dans le cadre de l’Université Marc-Bloch de Strasbourg, est porté non seulement par des enseignants musulmans, mais aussi par des universitaires non musulmans. L’Alsace n’est pas tirée d’affaire…