Jacques Cordonnier à l’Université de rentrée des Identitaires


Plusieurs responsables du mouvement régionaliste Alsace d’Abord étaient en Provence les 9 et 10 septembre 2011 et ont participé à l’université de rentrée des identitaires. Nous reproduisons ici le texte de l’intervention de Jacques Cordonnier, président d’Alsace d’Abord, devant les cadres et militants identitaires lors de cette université consacrée à notre avenir européen.

L’Europe, plus que jamais, notre destin !

Pour nous, régionalistes et identitaires, l’Europe est tout à la fois une déception et un espoir.

Elle est une déception, car l’Europe ne s’est pas construite aussi vite et telle que nous l’aurions souhaité. Mais l’Europe est un espoir, car nous avons tous conscience que dans le contexte international actuel, fait de tensions et de conflits, seul le rapprochement des peuples dans le cadre d’une Europe politique permettra à notre civilisation de continuer à prospérer et à rayonner et de faire face à la Chine, à l’Inde et aux Etats-Unis.

Déception

 L’Union européenne est cette construction imparfaite qui n’a pas su mettre les peuples d’Europe à l’abri de la crise économique majeure que nous vivons aujourd’hui et qui n’est pas en mesure de nous dire quel avenir elle nous prépare. L’Europe a été incapable d’empêcher la guerre dans l’ex-Yougoslavie, qui a abouti à cette incroyable humiliation : les premiers bombardements américains sur une capitale européenne, Bergrade, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

L’Europe donnait hier des raisons d’espérer ; aujourd’hui, elle fait peur à beaucoup de gens.

On lui a dénié son histoire : rappelez-vous, la référence aux racines chrétiennes a été gommée dans le préambule du traité constitutionnel.

On lui a dénié sa géographie : pas de contour géographique établi, et la question de la Turquie n’est toujours pas réglée.

L’Europe d’aujourd’hui est en proie à une incertitude existentielle aussi bien stratégique qu’identitaire, et les nationalistes et les eurosceptiques ont beau jeu d’exploiter ces incertitudes.

Les quatre erreurs fondamentales

L’Europe s’est construite dans le doute et les hésitations depuis plus d’un demi-siècle. Les pères de l’Europe qui se sont attelés dès après la guerre à cette mission, ont commis des erreurs. Quatre erreurs essentielles ont sans cesse été reproduites au fil des ans :

1 – Être partis de l’économie et du commerce au lieu de partir de la politique et de la culture en s’imaginant que la citoyenneté économique déboucherait mécaniquement sur la citoyenneté politique.

2 – Avoir préféré des élargissements hâtifs à des pays mal préparés pour entrer dans l’Europe au détriment d’un approfondissement des structures politiques.

3 – N’avoir jamais voulu statuer clairement sur les frontières de l’Europe et sur les finalités de la construction européenne.

4 – Avoir construit l’Europe sans les peuples, et même parfois contre les peuples.

Fédéralistes contre centralistes

Dès le début de la construction européenne, deux courants se sont opposés :

– d’un côté les fédéralistes, partisans d’une construction rapide de l’Europe politique à partir de la base et dans le respect de la diversité des peuples,

– et de l’autre les « fonctionnalistes » ou « unionistes », selon qui la priorité doit être donnée à une Europe économiquement intégrée et qui se contentent d’un simple rapprochement des gouvernements dans une optique purement gestionnaire. Ce sont les seconds qui jusqu’à présent l’ont emporté. Mais pour quel triste résultat !

Les souverainistes – ou plutôt nationalistes – ne cessent de dénoncer l’Europe de Bruxelles comme une Europe fédérale. Mais ceci est totalement trompeur. Par sa tendance à s’attribuer autoritairement toutes les compétences, elle se construit au contraire sur un modèle très largement jacobin. Loin d’être « fédérale », elle est même jacobine à l’extrême, puisqu’elle conjugue autoritarisme punitif, centralisme et opacité.

L’économie avant la politique

Cet économisme initial a bien entendu favorisé la dérive libérale des institutions. Loin de préparer l’avènement d’une Europe politique, l’hypertrophie de l’économie a rapidement entraîné la dépolitisation, l’effacement des anciens systèmes de représentation, la consécration du pouvoir des experts.

Ce parti pris en faveur de l’économie explique évidemment le déficit démocratique des institutions européennes :

– le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État ou de gouvernements des pays membres de l’Union, est censé définir les orientations et les priorités politiques de l’UE. En réalité, il délègue presque tout à la Commission européenne.

– la Commission européenne échappe pratiquement à tout contrôle.

– le Conseil des ministres, issu des gouvernements européens, n’a de comptes à rendre à personne.

– le choix du président de la Banque centrale n’a pas à être confirmé par le Parlement.

– et la nomination des membres de la Cour de justice de l’Union est l’affaire des gouvernements seulement.

– Quant au Parlement européen, élu au suffrage universel depuis 1979, il s’est de longue date transformé en pétaudière.

Jamais l’Union européenne n’a été pensée ni animée par des politiques. L’exécutif bruxellois ne gouverne pas, il se contente de gérer. José-Manuel Barroso, le président de la Commission, navigue à vue, sans aucune vision à long terme.

L’Europe sans frontières

N’avoir jamais statué sur les frontières de l’Europe est une faute grave dont nous continuons à porter les conséquences et les risques.

Si la Turquie, avec ses 75 millions d’habitants, entrait dans l’Union européenne, elle deviendrait ainsi, du seul fait de son poids démographique, l’un des États membres les plus influents en termes de droit de vote. Cette perspective est soutenue par les États-Unis. Une telle intégration détruirait à jamais l’espoir de voir l’Europe devenir une véritable entité politique. Heureusement, aujourd’hui la majorité des Européens sont opposés à l’intégration de la Turquie, et le disent.

L’Europe des experts, pas celle des peuples.

L’Europe, enfin, n’a cessé de se construire sans les peuples. On pourrait même dire que la grande constante des « faiseurs d’Europe » a été leur méfiance irrépressible vis-à-vis des peuples. L’Europe aspire à devenir une entité politique, mais elle n’a jamais été fondée politiquement.

Le Parlement européen, seule instance porteuse de la souveraineté populaire, est privé à la fois de son pouvoir normatif et de son pouvoir de contrôle. Avec l’arrivée des nouveaux États membres, il ne produit plus qu’une cacophonie politiquement inaudible.

Arnaud Gouillon, président fondateur de Solidarité Kosovo, association d’aide aux Serbes du Kosovo

L’Europe reste un espoir

Malgré les déceptions qu’elle a engendrées, la construction européenne demeure pourtant plus nécessaire que jamais. Pourquoi ? D’abord pour permettre à des peuples européens trop longtemps déchirés par des rivalités de toutes sortes de reprendre conscience de leur commune appartenance à une même aire de culture et de civilisation et de s’assurer d’un destin commun.

Ceux qui disent que le peuple européen n’existe pas, disent une sottise ou sont de mauvaise foi. Le peuple européen est cet ensemble de peuples qui ont partagé toutes les grandes expériences qui ont fondé l’Europe en tant que civilisation : l’héritage de l’empire romain, la conversion au christianisme latin, les innovations du moyen âge, la Renaissance, la Réforme, la Contre-réforme, les Lumières, le romantisme.

 Une longue suite de Traités

L’Europe contemporaine ne s’est pas faite d’un claquement de doigt. Elle est une construction complexe, bâtie sur des séquences qui se ressemblent et se reproduisent continuellement : les experts élaborent des projets, les responsables politiques se réunissent en sommets, signent des Traités, les font ratifier par leurs parlements le plus souvent, par référendum très rarement.

Et c’est là qu’est une des failles majeures du système : les peuples n’ont été que rarement appelés à approuver et ratifier les Traités. Et même pire, quand parfois les peuples ont rejeté un Traité, les gouvernants se sont ingéniés à les contourner.

Du traité de Paris en 1951 qui instituait la CECA, Communauté européenne du charbon et de l’acier, au Traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009, quel long chemin a été parcouru ! Le Traité de Lisbonne ne restera pas un souvenir glorieux de l’histoire de la construction européenne, tout du moins dans la façon dont il a été imposé aux électeurs. En effet, la ratification du Traité Constitutionnel ayant été rejetée par les référendums organisés en France et aux Pays-Bas, les dirigeants européens sont revenus à la charge avec le Traité de Lisbonne qui n’a été soumis qu’aux parlements nationaux, partout sauf en Irlande où il a fallu recourir à deux consultations référendaires. Les Irlandais ayant dit Non en 2008, ont fini par dire Oui en 2009.

Les institutions de l’Union européenne

On voit donc bien comment cette construction complexe a eu du mal à se mettre en place. Deux pas en avant, un pas en arrière. Aujourd’hui, où en sommes-nous ?

• Pouvoir législatif : les Européens ignorent souvent qu’il y a deux institutions, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Ce dernier est la composante législative de l’Union où se réunissent les ministres des États membres par spécialité, représentant les gouvernements des États membres.

• Pouvoir exécutif :

– Le Conseil européen. C’est le sommet des chefs d’État et de gouvernement des États membres, il donne – ou devrait donner – à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et les grandes orientations de ses politiques.

– La Commission européenne apparaît comme le moteur de l’Union et a un rôle co-exécutif avec le Conseil européen ; son président, élu par le Conseil européen pour un mandat de cinq ans et approuvé par un vote du Parlement européen, nomme 27 commissaires  avec lesquels il est – théoriquement – responsable devant le Parlement.

• Le pouvoir judiciaire est détenu par la Cour de justice de l’Union européenne.

Il y a encore deux institutions économiques importantes : la Cour des comptes qui contrôle l’utilisation correcte et légale du budget de l’Union et la Banque centrale européenne qui est responsable de la politique monétaire et de la gestion de l’euro.

 

Europe souveraine et indépendante

Malheureusement, les responsables politiques au sein de ces institutions ont failli à leur mission essentielle, qui est de garantir à l’Europe sa souveraineté et son indépendance.

Les intérêts européens et américains étant structurellement divergents, en tout cas jusqu’à aujourd’hui, les États-Unis n’ont jamais voulu admettre l’émergence d’une puissance occidentale rivale. Peut-être que le rôle grandissant de la Chine, notamment dans la grave crise actuelle, va amener les États-Unis à rebattre les cartes et à considérer sous un autre éclairage le processus d’intégration politique de l’Europe.

La question de la souveraineté est la question fondamentale et je vous invite à méditer cet étrange paradoxe : tout ce que les États membres de l’Union ont perdu en souveraineté n’a pas profité à l’Europe ; celle-ci n’est est pas devenue plus souveraine pour autant. Nous aurions espéré que le Parlement européen s’empare instantanément de chaque parcelle de souveraineté abandonnée par les États. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées comme cela.

Pour retrouver la souveraineté perdue des nations, il faut construire la souveraineté européenne. Et il n’y a qu’un chemin vers l’union politique de l’Europe, c’est la voie fédérale qui seule permet de construire un ensemble politiquement cohérent, tout en respectant les différences et les spécificités des peuples.

L’Europe en réalité n’a pas pour but d’effacer les nations, mais de les dépasser, en séparant la nation de l’État. Les nations sont des réalités historiques qui doivent être prises en compte, dans une optique marquée par l’application systématique du principe de subsidiarité, au même titre que les régions et les territoires articulés autour des grandes villes.

Qui faut-il craindre ? les hommes ou les institutions ?

En tant que régionalistes identitaires, nous avons le droit et le devoir d’imaginer et de proposer la configuration idéale – à nos yeux – de l’Europe. Mais nous sommes aussi des pragmatiques, pas des rêveurs. Et nous ne pouvons pas nous contenter d’incantations sur l’Europe idéale et rejeter en bloc ce qui existe aujourd’hui.

Chaque fois que j’entends ceux qui prétendent œuvrer pour l’Europe des patries, ou l’Europe des nations, j’éprouve un malaise. En réalité, le concept d’Europe des nations est le masque de ceux qui ne veulent pas d’Europe.

Ce ne sont pas les institutions seules qui doivent être mises en cause, mais surtout les hommes et les femmes qui y siègent et qui prennent des décisions en notre nom.

Je peux poser le problème autrement : si les institutions européennes étaient aujourd’hui différentes de ce qu’elles sont, est-ce que les gouvernements européens y auraient envoyé d’autres représentants ? Bien sûr que non. Michel Barnier représenterait toujours la France à Bruxelles et Rachida Dati ferait toujours acte de présence dans l’hémicycle de Strasbourg, bien que son rêve affiché soit de quitter le Parlement européen pour siéger à l’Assemblée nationale. C’est vous dire la vacuité de l’esprit européen qui anime la plupart de nos représentants à Strasbourg !

Des commissaires européens qui font le jeu des États-Unis

Michel Barnier est emblématique de cette caste de responsables européens qui se moquent de l’Europe. Michel Barnier a commencé très jeune sa carrière politique, vers quinze ou seize ans. Il a été à vingt sept ans l’un des plus jeunes députés français. Sachez que toute sa vie politique durant, cet homme s’est battu en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Il connaît personnellement Erdogan et les autres responsables politiques turcs. Quelle confiance peut-on lui accorder aujourd’hui lorsqu’il prétend avoir changé d’avis, à soixante ans, sur cette cruciale question ? Aucune. Nous ne pouvons lui accorder strictement aucune confiance. Il en est ainsi de la plupart des commissaires européens.

Tant que siègeront à la Commission des gens comme José-Manuel Barroso, Viviane Reding, Neelie Kroes, Olli Rehn ou Karel De Gucht, l’Europe suivra une voie libérale et continuera de s’aligner sur les vœux des États-Unis. Nous devons donc nous attacher à cibler nommément les responsables politiques, qu’il s’agisse des membres de la Commission ou du Conseil européen, et à dénoncer leurs agissements chaque fois qu’ils sont contraires aux intérêts des Européens.

Pas d’Europe sans institutions

Il est vain de s’époumoner à longueur de discours contre l’Europe de Bruxelles. C’est même contre-productif, car en agissant ainsi, on entretient la confusion et l’on finit par désigner comme un mal en soi le concept même d’Europe politique. Si l’on est pour la construction d’une Europe politique, et c’est bien ce but que nous poursuivons, alors il y aura nécessairement des organes et des institutions européennes. À charge pour nous d’y envoyer des hommes dignes de notre confiance, ou de tout faire pour les influencer dans le sens de nos idées.

Les atouts de l’Europe

L’Union européenne a cependant de bonnes cartes entre les mains.

Nous avons un vaste territoire : 4,4 millions de km2. Notre sol recèle de nombreuses ressources. L’Union européenne possède des réserves d’uranium, de charbon, de minerai de fer, de pétrole. L’Union est le 8è producteur mondial de pétrole. Bien sûr, l’Europe importe de nombreuses ressources. Notamment de Russie où elle s’approvisionne largement en matière d’énergie. Ceci est une raison supplémentaire de ne pas aliéner nos rapports avec la Russie.

Ajoutons à cela que nous avons en Europe de grandes zones de terres cultivables fertiles qui pourraient nous assurer l’autosuffisance alimentaire.

Si l’on retient le Produit Intérieur Brut comme mesure de la richesse, l’ensemble européen est la première puissance économique avec 30 % du PIB mondial, soit 17 000 milliards de $, contre 15 000 milliards $ pour les États-Unis.

Nous avons le plus grand marché intérieur. L’Union européenne est le 1er exportateur et le 2è importateur mondial, hors flux à l’intérieur de l’Union.

Vous le comprenez, ensemble nous pouvons être très forts. Et nous préférerons toujours payer pour la Grèce que payer pour Mayotte.

La démographie, point faible de l’Europe

Les populations cumulées de l’Union européenne constituent un ensemble de 500 millions d’êtres, largement plus que la population des États-Unis ou de la Fédération de Russie. Malheureusement, cette population est vieillissante, et c’est là une grande fragilité pour les temps à venir. En effet, le dérèglement de la pyramide des âges a des conséquences sociales dramatiques. Et si rien n’est entrepris pour inverser les tendances lourdes, l’évolution démographique négative peut devenir mortelle.

Et précisément, les responsables politiques en charge de notre avenir, ne font rien pour redonner vitalité à notre démographie. Pouvez-vous imaginer que sur les vingt sept membres que compte la commission Barroso, pas un seul ne s’est vu affecter cette compétence fondamentale et vitale qu’est la politique démographique ?

Dans le moment historique que nous vivons, l’Europe semble être dans l’impasse. Comment en sortir ? Quelles sont les options ? Pour l’heure, il semble n’y avoir que trois possibilités :

– poursuivre dans la même voie, dont on connaît maintenant les résultats,

– se replier sur les seules structures nationales, comme le souhaitent les souverainistes, la « construction » européenne se ramenant alors à de simples initiatives intergouvernementales dans quelques domaines précis,

– ou s’efforcer de donner à l’Union européenne de véritables institutions politiques en mettant fin une fois pour toutes à l’équivoque sur les finalités. Mais si l’on choisit cette dernière option, on réalise tout de suite qu’elle ne fait pas l’unanimité parmi les États membres.

Il ne s’agit donc pas de chercher à remplacer l’Union européenne, mais de créer en son sein, et même séparément d’elle, une structure d’approfondissement destinée à ceux qui veulent aller plus loin, étant entendu que cette structure, centrée au départ autour de l’espace rhénan, pourrait s’étendre ensuite à tous les autres pays qui accepteraient d’en partager les règles.

Nietzsche a dit: « L’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau ».

Aujourd’hui, nous y sommes presque : crise financière, crise économique, immigration extra-européenne incontrôlée, présence massive et revendicative de l’islam, accroissement rapide du nombre de pauvres et de personnes déclassées, vieillissement de la population.

Nous sommes au bord du tombeau, et n’hésitons pas à le dire, c’est la chance de l’Europe, de notre Europe. Il n’y a plus d’argent, il n’y a plus de marge de manœuvre. Les gouvernements européens vont être contraints, comme ils ne l’ont jamais été, à faire des arbitrages et des choix douloureux. Le temps est venu d’imposer le principe de préférence européenne et d’imposer la voie fédérale. Les partis identitaires européens ont une mission historique.

Soyons dignes de l’immense tâche que nous avons à accomplir.

Vive les Identitaires, vive l’Europe !

Jacques Cordonnier – 6 septembre 2011