La démocratie nous quitte… et nous la regardons partir sans rien faire
Les élections cantonales de mars 2011 ont consacré la victoire de l’abstention qui a atteint le niveau historique de 54 %. En Alsace, elle est encore plus élevée que la moyenne nationale : 57 % dans le Haut-Rhin, 59 % dans le Bas-Rhin. Ces chiffres effrayants doivent être combinés avec un autre phénomène dont la presse a peu parlé : c’est la forte augmentation des bulletins blancs ou nuls qui ne sont pas comptabilisés dans notre système électoral. En tenant compte des bulletins nuls, le nombre d’électeurs ayant exprimé un choix est encore plus faible.
L’inquiétante hausse de l’abstention
Quand le peuple se détourne des urnes, c’est la démocratie qui s’en va. Qui peut dire ce que sera la prochaine étape de cette désagrégation de la politique ? Les états-majors de l’UMP, du PS et du FN se rejettent la responsabilité de l’abstention et invoquent toutes sortes de raisons, les unes plus farfelues que les autres.
Au fait, à quoi bon voter ?
La vraie raison de l’abstention est simple et se résume ainsi : l’électeur sait qu’il n’a plus aucune influence sur le cours des choses lorsqu’il glisse son bulletin dans l’urne. Et puisque son vote n’a aucune utilité, pourquoi donc irait-il voter ? Au soir du deuxième tour, on a pu voir sur la chaîne de télévision régionale les présidents des Conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin critiquer l’État qui les priveraient des moyens financiers de remplir leur mission. Quel spectacle ! Des responsables UMP alsaciens qui font semblant de critiquer l’État UMP ! L’électeur n’aime pas qu’on le prenne pour un benêt ; alors, il se réfugie dans l’abstention.
On ne consulte les électeurs que sur les questions mineures, et encore !
Pendant plusieurs semaines, la presse nous a assommés avec le fameux débat de l’UMP sur l’islam, devenu au fil des jours un débat sur la laïcité, au moment même où l’île lointaine de Mayotte devient le 101è département français. L’État UMP, avec la complicité du PS et des Verts, change les frontières de la France sans consulter les Français. L’électeur n’aime pas qu’on le trompe ; il se réfugie dans l’abstention.
En Alsace, le maire de Strasbourg lance une consultation des habitants sur… la réduction de la vitesse de circulation automobile, mais refuse de lancer un référendum sur la construction des minarets. L’électeur n’aime pas qu’on se moque de lui ; il se replie dans l’abstention.
Le ministre UMP des collectivités territoriales, Philippe Richert, qui est aussi président du Conseil régional d’Alsace, s’apprête à mettre en œuvre la réforme des collectivités voulue par Nicolas Sarkozy, tragique réforme qui va organiser le recul de la décentralisation et le retour de l’administration d’État. Cette réforme est aussi le masque d’une autre réforme, celle du mode de scrutin qui signe la fin de la proportionnelle, privant ainsi de nombreux électeurs de toute représentation. L’électeur prend acte, impuissant, des tripotages du mode de scrutin ; il s’abstiendra encore plus à l’avenir.
Nos élus nous défendent-ils vraiment ?
Éloigner les centres de décision des électeurs, pour les concentrer à Paris, c’est faire reculer la démocratie. Les Alsaciens ressentent de plus en plus fortement que les élus ont dévoyé leur mandat : au lieu de défendre à Paris les intérêts de ceux qui les ont élus, ils sont devenus les représentants de l’État dans leur région et viennent nous transmettre les consignes de la haute fonction publique, quand ce ne sont pas celles des dirigeants du CAC 40.
L’herbe est réellement plus verte ailleurs
Pourquoi en Corse, à l’inverse de l’Alsace, la participation aux élections cantonales a-t-elle été si élevée, presque 67 % ? Parce que la création de la Collectivité territoriale de Corse et son évolution depuis 1982 y ont consacré le fait régional. Parce que la Corse a demandé et obtenu une large autonomie. Parce qu’en Corse, le scrutin proportionnel n’a pas été aboli.
Pourquoi dans le Bade-Wurtemberg – où avaient lieu les élections législatives le même jour que les cantonales ici – la participation a-t-elle atteint un niveau aussi élevé ? Parce que les cent-vingt députés du Landtag du Bade-Wurtemberg sont élus à la représentation proportionnelle mixte, cinquante d’entre eux étant élus à la représentation proportionnelle avec accès dès 5 %. Toutes les sensibilités y sont ainsi représentées.
Comment redonner la confiance ?
Pour que les Alsaciens retrouvent le chemin des bureaux de vote, il faut leur redonner le pouvoir de décider eux-mêmes de leur destin. Il faut qu’ils retrouvent confiance en leurs institutions, en leurs élus. Cette confiance, les Alsaciens pourraient progressivement la retrouver, à plusieurs conditions :
– les maires et présidents de collectivité doivent eux-mêmes faire confiance aux électeurs en les appelant à se prononcer par référendum, comme les votations en Suisse, sur les sujets qui engagent leur avenir.
– les maires et présidents de collectivité doivent épargner à l’Alsace l’application de la réforme territoriale qui, si on ne s’y oppose pas, serait mise en œuvre en 2014. Exonérer l’Alsace de cette mauvaise réforme est la condition absolue du retour de la confiance.
Mais le chemin à parcourir est encore long. Quelques pas en avants, quelques pas en arrière. Les Alsaciens viennent de vivre, début avril 2011, un très grand pas en arrière. Il y a quelques mois, les présidents des hautes collectivités alsaciennes ont pris l’engagement vis-à-vis des électeurs d’organiser avant fin 2011 un référendum sur le projet de fusion de la Région et des Départements. Le 10 avril 2011, les Alsaciens ont appris par la presse locale que les responsables du Conseil régional et des Conseils généraux ne tiendraient par leur promesse et que le référendum était repoussé aux calendes grecques. L’abstention a encore de beaux jours devant elle, et le pouvoir des préfets aussi.
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