Le rectorat et l’enseignement bilingue en Alsace : stupeur et tremblements
La presse régionale a publié le 16 juin 2011 un article qui a secoué le monde de l’enseignement bilingue en Alsace. L’annonce faite par Mme le recteur Armande Le Pellec Muller, d’abandonner le paritarisme 12h/12h dans l’apprentissage de l’allemand a pris de court tous ceux qui, dans notre région, sont engagés dans la promotion du bilinguisme français allemand.
Des propos du recteur – ou de la recteure, ou de la rectrice, c’est comme vous voudrez – et de toutes les réactions publiées les jours suivants, on retiendra notamment ceci :
Le rectorat tout-puissant en Alsace
– aucun responsable d’organisme et d’association parmi ceux qui depuis des années oeuvrent inlassablement en faveur du bilinguisme, n’a été préalablement consulté. Quel mépris pour eux !
– cette annonce est présentée comme une expérimentation. Mais tout le monde sait que si par malheur cette expérimentation était mise en œuvre, elle serait généralisée l’année suivante. Qui veut parier le contraire ?
– l’empilement des explications données par le recteur forme un pur galimatias destiné à nous faire croire que la diminution du temps d’apprentissage en allemand serait… un progrès de l’enseignement bilingue ! Cela, il fallait oser le dire.
L’Alsace fait les frais des coupes budgétaires
– Armande Le Pellec Muller invoque pêle-mêle plusieurs raisons de nature différente pour justifier cette décision de l’Éducation nationale. La seule vraie raison est budgétaire. La rectrice souligne que « l’enseignement en allemand est une particularité de notre académie qui représente une dépense annuelle de 17 millions d’euros pour l’Éducation nationale… »
Et alors ? À supposer même que ce chiffre soit juste, qu’y a-t-il là d’anormal ? L’Alsace est une région frontalière. L’allemand est la langue la plus parlée en Europe et l’économie d’outre-Rhin est la première économie européenne. Le travail frontalier est en Alsace une donnée économique de base qui concerne environ 80 000 personnes. La pratique de la langue allemande par le plus grand nombre d’Alsaciens est un atout exceptionnel qu’il faudrait développer. Au lieu de cela, l’État via l’Éducation nationale revient sur ses engagements en oubliant qu’au bout du compte, ce qui est bon pour l’Alsace est aussi bon pour la France.
Rupture de contrat sans indemnité
Si l’État a pu aussi facilement rompre la convention signée en 2007 avec les collectivités territoriales, c’est qu’il a pu compter sur la complaisance et l’accord de leurs présidents. Mais alors, MM. Richert, Buttner et Kennel, respectivement présidents du Conseil régional, du conseil général du Haut-Rhin et du Conseil général du Bas-Rhin, ont-ils aussi supprimé le versement annuel de 3 millions d’euros à l’État prévu par cette même convention ? Selon nos informations, il semble que non.
Pourquoi les élus locaux ont-ils donné leur accord ?
Les trois présidents des hautes collectivités territoriales d’Alsace ont un point commun qui explique leur docilité vis-à-vis de l’Éducation nationale : ils en sortent tous les trois. Tous les trois ont été nourris à la mamelle de l’Éducation nationale. Philippe Richert a commencé sa carrière comme prof de sciences naturelles, Charles Buttner comme prof de gym, et Guy-Dominique Kennel comme prof de lettres. Issus du Mammouth et membres de l’UMP, ils sont donc formatés pour obéir aux injonctions de l’État.
Les collectivités avec le rectorat, contre les entreprises
Dans cette triste affaire, MM. Richert, Buttner et Kennel renient leurs engagements électoraux, négligent les souhaits de leurs électeurs et balaient les recommandations des forces vives de l’économie alsacienne. En effet, cruelle coïncidence, la presse régionale avait publié le 14 juin dernier, soit deux jours avant l’article sur la décision rectorale, un entretien remarquable avec le président du MEDEF 67, Olivier Klotz. Ce dernier a résumé la situation en quelques mots : « …la perte du bilinguisme contribue très largement au déclin de l’activité en Alsace et donc à la croissance du chômage… Si nous ne redevenons pas bilingue de façon volontaire, nous plongerons sur le plan économique. »
Il faut régionaliser le système éducatif
Pour ne plus avoir à subir de manière récurrente les ruptures unilatérales de conventions de la part de l’État, l’Alsace doit s’affranchir une fois pour toutes des liens de sujétions qui nous lient aux services de l’État. Depuis plus de vingt ans, le mouvement Régionaliste Alsace d’Abord réclame la régionalisation progressive du système éducatif. Les collectivités territoriales construisent et entretiennent à grand frais les écoles, les collèges, les lycées, mais n’ont aucun droit de regard sur ce qui se passe à l’intérieur des établissements d’enseignement. Cette situation est illogique, injuste et inefficace. En son temps, Adrien Zeller avait demandé pour la Région la gestion des personnels techniques des lycées. Au lieu de cette réforme absurde, les régionalistes avaient demandé que dans un premier temps les collectivités aient un droit de regard sur la nomination des chefs d’établissement et sur le contenu de certains programmes scolaires.
Non à la réforme Sarkozy des collectivités territoriales
De nombreuses personnes en Alsace ont consacré à la promotion du bilinguisme beaucoup de temps et d’énergie. Leur dévouement a rendu possibles de grandes avancées et nous leur rendons ici hommage. Mais c’est insuffisant. Tant que ne seront pas changées les règles du jeu – aujourd’hui perverses – entre l’État et la région, nous serons toujours le pot de terre contre le pot de fer.
Plus que jamais, nous devons être vigilants. Le trio Richert-Buttner-Kennel – qui leurre les Alsaciens en jouant à « fusionnera-fusionnera pas » – a déjà consenti à abandonner à l’État une grande partie des pouvoirs qui leur restaient en votant en faveur de la réforme Sarkozy des collectivités territoriales prévue pour 2014. Puissent les Alsaciens en prendre conscience et agir ensemble avant qu’il ne soit trop tard.