Lettre ouverte à Philippe Richert
Jacques Cordonnier a apporté, sous forme d’une lettre ouverte à Philippe Richert, la contribution du Mouvement Régionaliste Alsace d’Abord au débat sur l’avenir institutionnel de l’Alsace, organisé au Conseil Régional d’Alsace le 7 mai 2011.
Lettre ouverte à Philippe Richert,
Président du Conseil Régional d’Alsace,
Ministre chargé des collectivités territoriales
Strasbourg, le 4 mai 2011
Monsieur le Président,
Vous animerez le samedi 7 mai 2011 au Conseil Régional d’Alsace le débat sur l’avenir des institutions dans notre région et sur le projet de conseil unique, débat auquel vous avez choisi de donner un large retentissement.
Nous nous réjouissons que ce débat ait enfin lieu et souhaitons de tout cœur qu’il soit fécond. Nous regrettons bien sûr qu’il n’ait pas été organisé plus tôt, au sein du Conseil régional comme des Conseils généraux, il y a vingt ans, il y a dix ans, ou au lendemain des dernières élections régionales. En tout état de cause, ce débat aurait dû avoir lieu avant le 16 décembre 2010, avant le vote de la loi sur la réforme des collectivités territoriales, tant cette loi est une pierre dans le jardin de tous ceux qui souhaitent vraiment suivre la voie de la décentralisation.
Les responsables politiques alsaciens auraient pu – auraient dû – mettre à profit le droit à l’expérimentation introduit par la réforme constitutionnelle de 2003, et engager dès cette date la création du Conseil unique.
Le mouvement régionaliste a placé au cœur de son programme, dès 1989, l’objectif de fusionner les trois hautes collectivités alsaciennes. À ce titre, nous nous permettons de vous adresser quelques observations et suggestions.
Collectivité unique ou conseil unique ?
Puisque par définition l’objet de ce débat concerne au même titre les Conseils généraux et le Conseil régional, pourquoi n’avoir pas réuni en congrès les trois assemblées ? Cette occasion manquée entache la portée symbolique de l’événement. Nous espérons qu’une telle réunion aura lieu très bientôt.
Nous formons le vœu que les élus appelés à débattre dans quelques jours placent le niveau de leurs ambitions très haut. L’écueil à éviter absolument serait de proposer une fausse fusion, un habillage destiné à satisfaire les souhaits clairement exprimés par les Alsaciens dans le sondage CSA/Menscom sans heurter les options conservatrices de ceux des élus qui préfèrent le statu quo. L’objectif à atteindre est une fusion complète – des assemblées et des administrations – des trois collectivités actuelles. Tout projet qui comporterait le maintien des Départements et des Conseils généraux au nom d’une prétendue identité départementale ou d’une exigence de proximité que personne ne conteste, serait un mauvais projet, voué à l’échec.
Clause de compétence générale
Le préalable à la mise en œuvre sincère et ambitieuse d’un Conseil unique d’Alsace, est de conserver la clause de compétence générale. Il nous semble incompréhensible que personne parmi les responsables politiques en Alsace n’ait adressé une requête en ce sens au gouvernement et aux hautes autorités de l’État. Peut-on imaginer que le Conseil d’Alsace – appelons-le ainsi – issu de la fusion des Départements et de la Région soit privé de la compétence générale, alors qu’au contraire la métropole Strasbourgeoise en serait dotée ?
Les élus de la future collectivité doivent pouvoir se saisir de tout dossier et investir dans tout projet qu’ils estimeront déterminant pour les habitants de notre région, sans avoir à négocier avec l’État pour aboutir à des contractualisations qui se font toujours – le passé l’a maintes fois prouvé – à notre détriment.
Que faire de la loi du 16 décembre 2010 ?
Il est communément admis que la récente loi de réforme des collectivités territoriales constitue un recul de la décentralisation. Combinée à la réforme de la taxe professionnelle, elle est un cocktail explosif. Elle retirera des compétences à la Région et aux Départements et les privera de ressources propres. L’application de cette loi devrait être épargnée à l’Alsace. Encore faut-il que la demande en soit faite. C’est pourquoi nous suggérons que vous vous fassiez le porte-parole des élus d’Alsace pour demander un moratoire dans la mise en œuvre de la loi, y compris pour ses dispositions concernant l’intercommunalité.
Avant de songer à demander de nouvelles compétences, évitons de perdre celle que nous avons.
Puis attachons-nous à définir un statut particulier pour l’Alsace, comme les Corses ont su le faire il y a longtemps déjà.
Vers une compétence législative
Les électeurs sont moins timorés que les élus lorsqu’il s’agit de nommer la collectivité idéale ; ils n’hésitent pas à parler d’un parlement d’Alsace. C’est vers ce but que nous devons tendre. Mais il faut prendre garde à ne pas diluer cette revendication et à la vider de sons sens. S’il s’agit juste de pouvoir réglementer des domaines tels que l’apprentissage de l’alsacien, l’orientation professionnelle, la prise en charge de personnels périscolaires ou la gestion des routes, autant s’abstenir !
Au contraire, ambition, audace et anticipation doivent guider ceux qui fixeront le prochain statut de l’Alsace. Le Conseil d’Alsace devra avoir compétence réglementaire en matière de fiscalité, d’organisation des systèmes éducatifs et de santé et d’organisation institutionnelle avec les collectivités des pays voisins.
En ce qui concerne les dispositions législatives propres que nous avons déjà, le droit local, il faudra veiller à le protéger et le moderniser, mais sans le dénaturer. La proposition d’un parlementaire de votre majorité – qui projette de modifier le statut concordataire des cultes reconnus – a heurté de nombreux Alsaciens. Autant qu’au régime local d’assurance maladie, les Alsaciens sont attachés au régime concordataire.
Conseillers généraux, régionaux, territoriaux
En imposant la loi de réforme territoriale, le gouvernement a aussi voulu modifier la composition des Conseils et le mode d’élection des Conseillers. Nous pensons que le législateur a commis une faute en supprimant le scrutin proportionnel et en consacrant en quelque sorte le cumul des mandats, puisqu’à la faveur d’une seule élection, les élus siégeraient dans deux assemblées.
Les élus de Corse ont obtenu que cette réforme du mode de scrutin ne leur soit pas appliquée. En demandant le moratoire, l’Alsace pourrait aussi être exonérée des obligations et des conséquences de cette réforme en attendant que les contours du nouveau statut prennent forme.
Un référendum, vite !
Il serait très dommageable, après l’avoir promis aux Alsaciens, de différer l’organisation du référendum sur les institutions de l’Alsace. Cette consultation peut d’ailleurs être organisée dans un autre cadre que les dispositions de la loi du 16 décembre 2010.
Il serait tout aussi dommageable, peut-être même plus, de mal poser la question aux électeurs et de ne leur proposer de choisir qu’entre rien et un projet étriqué.
Monsieur le Président, le débat qui va avoir lieu dans quelques jours est une étape importante. Pour que ce débat produise ses meilleurs effets, il faudra éviter les concepts vagues et les phrases incertaines. Trop souvent, les Alsaciens ont entendu parler jusqu’à satiété de territorialisation, de subsidiarité, de proximité, de spécificité des territoires etc. sans bien comprendre le sens général de ces déclarations d’intention. Le débat devra poser ses questions claires et proposer un cadre de réponses tout aussi claires, compréhensibles par tous.
Puisse la collectivité unique voir le jour bientôt. Combien exaltante sera la mission des membres du conseil d’Alsace ! Une légitimité consacrée, une autonomie renforcée et des pouvoirs accrus changeront la nature même des rapports entre les élus alsaciens et les représentants de l’État. L’Alsace aura alors les moyens de mettre en œuvre ses propres choix en matière de développement économique, d’éducation et d’enseignement, de rayonnement culturel et de paix sociale.
Nous sommes conscients que face à l’ensemble de ces revendications, l’État risque d’opposer une résistance. Nous ne doutons pas que si un jour vous deviez vous retrouver en situation de conflit d’intérêt, vous qui avez aujourd’hui la charge de la mise en œuvre de la réforme des collectivités, vous saurez choisir l’intérêt de l’Alsace et des Alsaciens.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre parfaite considération.
Jacques Cordonnier
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