Ne les laissons pas jouer au Monopoly avec l’Alsace
Parce que François Hollande n’a pas su juguler le chômage, ni réduire les déficits publics, ni relancer la croissance, il en est réduit à utiliser la réforme territoriale pour tenter de marquer son quinquennat. Du peu qu’on sait de ce projet fignolé par Manuel Valls, c’est qu’il comporte plusieurs défauts majeurs.
Le premier défaut, rédhibitoire, est que la réforme Valls prétend s’appliquer indistinctement et uniformément à toutes les régions. L’Alsace serait donc traitée comme l’Auvergne ou le Limousin ? Absurde. La situation, l’environnement et les spécificités de l’Alsace, région frontalière, ne peuvent pas faire l’objet de la même réforme que les autres régions. Question de bon sens, avant même d’analyser les aspects juridiques.
Un bricolage institutionnel
Le deuxième défaut de cette réforme est la précipitation avec laquelle Hollande et Valls agissent pour le faire aboutir. Jusqu’à présent, les consultations se sont limitées aux chefs des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. Plutôt maigre, comme consultation ! Et quant aux citoyens, principaux intéressés, on ne leur demandera même pas leur avis. Nous sommes prévenus, il n’y aura pas de référendum.
La troisième tare du projet est que le chef de l’État et le gouvernement veulent alléger le millefeuille territorial sans toucher à la Constitution. Étant donné que l’article 72 de la Constitution stipule que « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions », on peut s’attendre à un sacré bricolage législatif pour contourner les difficultés.
Mais le vice majeur du projet Hollande/Valls est de vouloir imposer la fusion de l’Alsace avec la Lorraine. Les arguments invoqués sont des leurres.
De grandes régions sans moyens
Premièrement, Manuel Valls dit vouloir créer de grandes régions pour faire face aux puissantes régions des autres pays européens. Mais voyons ! Ce n’est pas la taille qui compte dans la compétition européenne, ce sont les pouvoirs, l’autonomie de gestion et les ressources financières dont nous devrions disposer qui feront la différence. L’Alsace, avec ses 1,8 millions d’habitants, coopère déjà avec la Haute-Autriche (qui n’a que 1,4 millions d’habitants, mais un PIB par habitant de 20 % supérieur au nôtre). Le canton de Bâle a moins de 200 000 habitants, mais un PIB par habitant trois fois plus élevé que le nôtre. La Sarre voisine n’a que 1 millions d’habitants et pourtant son PIB/habitant est plus élevé que chez nous. La ministre-présidente de Sarre a pu prendre récemment la décision de faire de la Sarre un Land bilingue allemand-français d’ici 2020. Elle peut le faire, car elle a autorité pour cela. Quand on songe qu’en Alsace, la décision d’ouvrir ou de fermer une seule classe bilingue relève de l’autorité du recteur d’académie, on mesure le fossé qui nous sépare de nos voisins. Au contraire de ce qu’il faudrait faire, Valls et Hollande vont même réduire les compétences des régions, en les privant de la clause de compétence générale, clause qui donnait aux collectivités territoriales le droit d’intervenir dans tous domaines si tel est l’intérêt de ses habitants. Le projet Valls est en réalité une réforme de recentralisation.
Mourir pour Mirecourt
Le second argument invoqué par le Premier Ministre concerne les économies qui, selon lui, en découleraient. Mais il s’agit là d’un piège qui nous est tendu. Le tour de passe-passe que le gouvernement se prépare à jouer porte un nom : la péréquation. Une fois les régions fusionnées, l’État diminuera ses dotations aux nouvelles régions – dotations qui constituent quasiment leurs seules ressources – puis demandera, au nom de l’équité, que soit pratiquée la péréquation entre les territoires. Les territoires dynamiques seront ainsi pénalisés. Rappelons que le PIB de la Lorraine est inférieur de près de 20 % au PIB de l’Alsace. Les Alsaciens, vivant dans une région frontalière, envisagent plus naturellement les coopérations avec Karlsruhe, Kehl ou Bâle, qu’avec Bar-le-Duc, Florange ou Mirecourt.
Choisissons nous-mêmes notre destin
Une réforme voulue et conçue par les Alsaciens, ratifiée par les Alsaciens, serait largement préférable à une réforme imposée par le gouvernement Valls et applicable dans trois ans à toutes les régions françaises.
Lors du référendum du 7 mars 2013, les Alsaciens avaient dit Oui à 58 % au projet de fusion des Départements et de la Région. Et pourtant, parce que le Non l’avait emporté dans le seul Haut-Rhin, la fusion n’a pu se faire. Si le Conseil unique d’Alsace existait aujourd’hui, personne ne pourrait nous imposer une réforme dont nous ne voulons pas.
La campagne de ce référendum avait été mal lancée et s’était rapidement transformée en un affrontement entre Haut-Rhin et Bas-Rhin, alors qu’en réalité le véritable enjeu était l’opposition entre l’Alsace et l’État. Et aujourd’hui nous y sommes ! C’est le gouvernement qui veut imposer à l’Alsace un mariage non consenti. Nous avons la possibilité de faire échec à la réforme Hollande/Valls. Relançons le projet de Conseil d’Alsace, par la fusion de la Région et des deux départements alsaciens. Les dispositions actuelles de la loi nous le permettent. Cela ne dépend que de nous.
Le 17 mai dernier, quatre députés alsaciens – trois dans le Haut-Rhin et un dans le Bas-Rhin – ont fait cette suggestion, de relancer le projet de fusion des Départements et de la Région. Très bien. Mais pourquoi les onze autres députés alsaciens n’ont-ils pas encore signé cet appel aux Alsaciens à rester maîtres de leur destin ? Et les neuf sénateurs alsaciens ? Et les présidents des Conseils généraux et du Conseil régional ?
Souhaitons que tous les responsables politiques alsaciens décident très vite de se concerter. Qu’ils mettent en œuvre la création du Conseil d’Alsace, qu’ils demandent le transfert de compétences nouvelles, notamment en matière d’éducation. C’est la seule voie qui permettra à notre région de sauvegarder son identité et de se construire un avenir prospère.